Alexandre Carlotti est le Directeur Audio et le Sound Studio Director d'Ubisoft Montpellier. Il accepte régulièrement de partager son expérience en intervenant au sein d' écoles spécialisées dans le jeu vidéo. Récemment, il s'est rendu à l' ISTDS, centre de formation pour les sound designers spécialisés en game de Montréal, pour rejoindre les membres du jury de leur examen de fin d'année.
(Ci-dessus, Alexandre Carlotti en train de tester le jeu vidéo Carus de l'école de Jeu Vidéo de Montpellier).
Alexandre Carlotti, invité de l'ISTDS
Acfa Multimédia : Vous vous êtes rendu à Montréal pour évaluer les créations des élèves de l'ISTDS. C'est la première fois que vous les rencontriez ?
Alexandre Carlotti : Oui, pour la plupart. J'avais déjà fait la connaissance de trois d'entre eux alors qu'ils suivaient la formation Sound Design de l' école de son de Montpellier. J'étais en tous cas très heureux de pouvoir les rencontrer.
Acfa Multimédia : Aviez-vous déjà eu l'occasion d'intervenir à l'ISTDS ?
A.C. : C'est la deuxième année que je suis membre du jury, et je suis également parrain de la formation. J'avais aussi donné quelques cours pour la première promotion. J'avais contribué au lancement de la formation pour trouver des intervenants, définir le programme, placer des stagiaires...
Acfa Multimédia : Que pensez-vous de la formation ISTDS ?
A.C. : Tout d'abord, qu'elle se situe au bon endroit sur Terre (rires). Le nombre d'élèves est adéquate, car il correspond à l'industrie locale, voir internationale du jeu vidéo. Nos 15 élèves pourront trouver du travail, que ce soit à Montréal ou ailleurs. De plus, les intervenants viennent tout droit du milieu professionnel, je ne pense donc pas qu'il y ait quoi que ce soit qu'ils apprennent aux élèves qui ne leur serve pas.
Acfa Multimédia : Comment le jury fonctionne-t-il ?
A.C. : Très bien ! Je ne connaissais pas tous les membres. Il y avait des personnes de Vibe Avenue, très pointues en matière de musique, qui venaient de l'Université du Québec à Montréal et de l'Université de Montréal, Mathieu Lavoie et François-Xavier Dupas. En tant que membres du jury, ils ont eu des commentaires très affutés, très pertinents. Ils savent ce que doit être capable de produire un étudiant ou un junior. Karl Lamoureux, d'Ubisoft Montréal, était également présent et a émis de très bons avis quant aux travaux présentés. Ses commentaires portaient majoritairement sur les techniques du son.
Acfa Multimédia : Comment l'évaluation s'est-elle déroulée ?
A.C. : Nous avons écouté les trois projets présentés par chaque élève et ensuite, chacun notre tour, nous avons fait part de nos commentaires. Nous avons essayé d'être très précis pour faire passer nos messages. Je ne pense pas qu'il y ait d'étudiants qui n'aient pas compris le fond de nos remarques. Nous avons essayé de bien argumenter. C'était une discussion dynamique et interactive au cours de laquelle nous avons également émis des critiques positives.
Comment présenter son travail devant des professionnels du jeu vidéo ?
Acfa Multimédia : Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui a été proposé au cours de l'examen ?
A.C. : Des choses très originales ont été proposées cette année, notamment un jeu réalisé par Raphaël et entièrement intégré sur Wwise, sans aucune autre interface. Clairement, c'est la présentation que j'ai le plus appréciée.
On a également beaucoup aimé celle de Damien. Sa présentation était très complète avec un Power Point, un visuel, des choses très variées, de l’interactif... Il était l'un des seuls à avoir fait cet effort, alors que c'est vraiment très important. Le jury a besoin d'un rythme visuel, de retenir ce qui est dit à l'aide d'un support. C'est vrai que nous avons été très intransigeants là dessus. Damien a aussi très bien travaillé l'audio. Il a un bon niveau musical et a une approche assez extraordinaire. C'est très intéressant du point de vue du jeu vidéo.
Acfa Multimédia : En tant que membre du jury, qu'attendez-vous des élèves lors de leur présentation ?
A.C. : Dans un premier temps du sérieux. La présentation fonctionne, elle a été testée, elle commence à l'heure. Dans ce cadre de rigueur, on apprécie d'avoir en face de nous une personne détendue, agréable, ouverte, qui nous fait écouter et voir des choses bien travaillées, avec une sensibilité et un savoir-faire. Il faut qu'il y ait ces trois éléments, c'est d'autant plus important qu'on ne voit les élèves qu'une heure.
Certains oublient parfois de se présenter. C'est dommage car il suffit de peu de choses pour montrer que l'on est bien préparé.
Au niveau du travail, on peut tout de suite sentir la maturité de l'étudiant, en voyant si les sons proposés ont été pensés et construits dans un but précis. Que le son soit beau ou pas, c'est subjectif. Mais comprendre qu'il y a une réflexion derrière, cela change tout. Il faut que l'on sente une volonté de nous emmener quelque part. Je ne suis pas du tout quelqu'un de fermé, donc il n'est pas difficile de venir me chercher. Par contre, il faut proposer quelque chose.
Conseils aux étudiants en jeu vidéo
Acfa Multimédia : Quels genres de conseils essayez-vous de faire passer aux étudiants ?
A.C. : Tout d'abord, j'essaye de communiquer l'importance de réfléchir à ce que l'on fait avant de le faire. Lorsqu'on fait un trailer, on regarde chaque plan et on essaye de penser à quels sons produire et ne pas produire. Il est important de faire des choix en amont. Prendre un temps de réflexion avant de se jeter dans le travail est très important.
De même, si les sujets sont au choix, je leur conseille de ne pas choisir de choses trop ambitieuses et de se tourner vers des choses qui sont de leur niveau. On aime voir des gens qui se connaissent et non pas des gens qui se surestiment ou se sous-estiment. Certains choisissent de travailler sur des trailers dont le son est difficile à créer, monter et mixer, avec des scènes de guerre, des explosions, des choses intenses et très actives qui nécessitent une grosse expérience de mixeur. Ils fournissent des heures de travail pour un résultat qui n'est pas à la hauteur. Il est donc important de penser à la rentabilité de leur travail. Il vaut mieux quelque chose de très épuré, de minimaliste et de poétique. Cela aura certainement meilleur effet qu'un trailer très difficile à monter et trop long à faire. Tant qu'ils sont étudiants, c'est l'effort qu'on récompense. Mais arrivé à un moment, ce ne sera plus l'effort mais le résultat.
Studio M : Vous leur donnez également des conseils quant à leur insertion dans le monde professionnel ?
A.C. : Bien sûr. Parfois, nous avons des étudiants qui opposent deux mondes : les jeux indépendants et les jeux à gros budget. Le marché du travail est ouvert et pour moi, il est essentiel pour les étudiants de conserver cet esprit d'ouverture dans un premier temps. Toute expérience est bonne à prendre ! Surtout qu'à leur stade, ils n"ont pas encore le recul nécessaire pour se prononcer sur ces choses là. Il ne faut pas qu'ils restent campés sur leurs idéaux.
Il y a également ceux qui opposent le monde sonore du jeu à celui du média (télé, pub...), plus linéaire. Les étudiants en sound design pour jeux vidéo ont un réel avantage sur les autres, car ils ont des connaissances en interactif. Ils maîtrisent des outils et des techniques que cet univers essaye d'utiliser peu à peu.
Même s'ils décident de se rediriger plus tard - vers la télévision par exemple - , il est de bon ton qu'ils gardent en tête tout ce qu'ils ont appris concernant l'interactivité du son.