RAPHAËL JOFFRES, JUNIOR SOUND DESIGNER À UBISOFT MONTPELLIER.
1) PEUX-TU DANS UN PREMIER TEMPS TE PRÉSENTER À NOS LECTEURS ?
Je suis Raphaël Joffres, 22 ans, sound designer junior à Ubisoft Montpellier, et formateur en design sonore. Pour résumer mon parcours en quelques phrases, je me suis découvert une passion pour la musique et le son en général vers l’âge de 10 ans. Cette passion a commencé par le piano, puis par la découverte de la MAO (Musique Assisté par Ordinateur) peu de temps après. Désirant créer de la musique dans ce qui était, à l’époque, un embryon de home studio, je me suis naturellement intéressé à l'ingénierie sonore. Cet intérêt, bien que peu habituel, fût heureusement encouragé par mes parents et par divers professionnels que j’ai eu l’occasion de rencontrer au cours de mes années de collège et lycée (preuve que les cours stages de 3ème et de seconde peuvent s’avérer très utiles !).
C’est au cours de plusieurs projets extrascolaires, durant mes trois années de lycée, que j’ai eu l’occasion de pratiquer la musique à l’image, et d’affiner alors mon projet post bac: je souhaitais faire du son à l’image. C’est ainsi que j’ai débuté mes études à ACFA multimédia, à Montpellier, en design sonore. Au cours de ma deuxième année, j’ai découvert le monde du jeu vidéo en participant à ma première game jam (concours de création de jeu vidéo en temps limité), la Game Pratic’. Cette jam a affiné encore mon projet, et m’a amené à poursuivre mes études en faisant une troisième année de spécialisation en design sonore pour médias interactifs. C’est à la fin de cette troisième année que j’ai été pris en stage à Ubisoft Montpellier, puis embauché à la suite de mon stage. Aujourd’hui, je travaille toujours à Ubisoft Montpellier, et je suis formateur pour l’ACFA, mon ancienne école, intervenant dans la troisième année de spécialisation.
2) EN TANT QUE JUNIOR SOUND DESIGNER, QUEL EST TON RÔLE CHEZ UBISOFT ?
En quelques mots, mon rôle consiste à concevoir et mettre en place des systèmes sonores interactifs, designer et intégrer les sons devant être utilisés par ces systèmes, le tout sous la direction du directeur audio et en collaboration avec le reste de l’équipe audio du projet sur lequel je travaille.
Néanmoins, en presque 3 ans à Ubisoft, mon rôle a beaucoup varié selon les projets et les périodes. J’ai fait mes débuts sur les DLCs de Ghost Recon Wildlands, avec pour objectif l’intégration des sons liés aux différentes missions. Cette tâche s’est révélée assez diverse, concernant l’intégration des musiques, des voix et des bruitages spécifiques dans les missions, mais aussi dans les cinématiques liées à ces dernières.
J’ai ensuite travaillé sur The Crew 2, avec pour chantier les différents sons liés aux véhicules. Pendant plus d’un an et demi, j’ai donc travaillé sur le design des différents systèmes sonores (sons de moteurs, de collisions, de nitro, …), c’est à dire définir comment tous les sons de véhicules doivent réagir en temps réel aux actions du joueur, en collaboration avec le reste de l’équipe audio, et plus particulièrement le lead audio du jeu. En plus de travailler sur les systèmes eux-mêmes, j’ai passé beaucoup de temps sur l’intégration des sons dans ces systèmes, principalement les sons de moteurs, un jeu comme The Crew 2 comportant des centaines de véhicules.
Ma mission sur ce jeu terminé, j’ai rejoint l’équipe de Beyond Good And Evil 2, en tant que sound designer et music designer. Aujourd’hui, je travaille donc sur le design et l’intégration des systèmes gérant les sons de vaisseaux et les musiques du jeu.
3) QUELS SONT LES OBSTACLES QUE TU RENCONTRES FRÉQUEMMENT DANS TON TRAVAIL ?
Je dirais que les obstacles les plus récurrents sont les bugs. Un jeu vidéo est une machine extrêmement complexe, et parfois capricieuse. Il n’est donc pas rare de perdre du temps parce que quelque chose ne marche pas, que ce soit un système qu’on essaie de mettre en place, un outil dont on se sert, ou bien le moteur du jeu lui-même. Les milliers de pièces qui constituent un jeu sont très connectées entre elles, une petite modification peut avoir un grand effet, et parfois un simple bug sur un système peut affecter toute l’équipe de production. Néanmoins, les bugs font partie du travail de développement, et c’est grâce à eux qu’on avance. Un système, qu’il soit sonore ou d’une autre nature, ne peut jamais être parfait du premier coup, et nécessitent souvent quelques itérations avant de fonctionner tel qu’il a été prévu. Les bugs ne font que mettre en valeur ce qui ne va pas dedans.
Les limites techniques des machines actuelles constituent aussi un obstacle majeur dans notre travail. On ne peut pas seulement créer des systèmes sonores réalistes ou fonctionnels, on doit aussi les optimiser le plus possible, afin qu’ils puissent marcher sans soucis en temps réel. Les performances des machines sont limitées, et leur puissance est à partager avec les autres éléments du jeu, tel que les graphismes, le moteur physique, l’IA... Bien souvent nous devons donc limiter la complexité de nos systèmes, en cherchant à obtenir le meilleur rendu possible avec la puissance qui nous est allouée
4) DANS QUELLES CIRCONSTANCES ES-TU AMENÉ À TRAVAILLER SEUL ET EN ÉQUIPE ?
Dans l’ensemble, le jeu vidéo est toujours un travail d’équipe, particulièrement sur un projet d’envergure sur lequel travaillent des centaines de personnes. Mon travail dépend toujours de celui de quelqu’un d’autre, ou de décisions prises avec d’autres personnes. C’est pourquoi il n’est pas possible de travailler seul bien longtemps, car il est toujours nécessaire de communiquer avec les autres, et d’avancer conjointement avec eux.
Néanmoins, l’importance du travail d’équipe peut varier selon le type de tâche et la proximité géographique avec ladite équipe.
Sur The Crew 2 par exemple, je travaillais depuis Ubisoft Montpellier avec l’équipe de développement située principalement à Ivory Tower à Lyon. J’ai donc plus souvent travaillé seul durant ce projet, avec une certaine autonomie liée à mon éloignement du reste de l’équipe. Sur BGE2 au contraire, la majorité des personnes se situent à Montpellier. Il m’est donc plus facile de travailler conjointement et en interdépendance avec eux.
Il m’arrive tout de même de travailler seul, dans mon coin, sur des tâches qui me sont assignées exclusivement. Mais c’est toujours pour une durée limitée, avant de partager le résultat de ce travail avec le reste de l’équipe. Cette communication est un élément essentiel dans une production, et passe par beaucoup de réunion pour se tenir au courant des avancées des autres. Elles se font parfois de vive voix, ou parfois sur Skype, mais restent toujours primordiales.
5) [INSTANT PUB] : QUELS SONT TES OBJECTIFS POUR CETTE ANNÉE 2019 ?
Professionnellement, je dirais que mon objectif est d'évoluer et d'innover. Mon rôle de music designer est une mission fascinante, qui me permet d'enfin conjuguer ma passion pour la musique avec celle pour l'interactivité. Sur un projet tel que BGE2, le chantier est énorme, et les possibilités très nombreuses. Être en charge du design sur ce chantier des musiques est quelque chose d'assez nouveau pour moi, et cette responsabilité s'accompagne de missions toutes aussi nouvelles. 2019 est donc une année qui s'annonce défiante, mais très motivante.
En objectifs annexes, je citerai aussi le fait de me mettre enfin à Reaper, et de sortir un nouvel EP avec mon groupe (FNARTCH) !
6) SELON TOI, À QUELS GENRES DE PERSONNES EST DESTINÉ LE MÉTIER DE SOUND DESIGNER ?
Je dirais avant tout: à des personnes créatives. Le métier de designer sonore est un peu un métier de magicien, qui consiste à recréer la réalité ou à créer l’irréel en sons à partir de sources à la diversité infinie. Il faut donc beaucoup d’imagination, de patience, et une grande curiosité. C’est un métier en constante évolution, qui nécessite un apprentissage constant !
Le travail de sound designer dans le jeu vidéo comporte aussi une grande partie de technique, de par la nature interactive des sons que l’on crée. Il faut donc un grand sens de la logique, en plus de la créativité, et un certain sens de l’organisation et du travail d’équipe.
7) LE CONSEIL DU CHEF : QUELLES ONT ÉTÉ LES QUALITÉS ESSENTIELLES QUI T’ONT AIDÉ AU RECRUTEMENT CHEZ UBISOFT MONTPELLIER ?
Je dirais que ce qui a fait la différence, étant encore étudiant lorsque j’ai été engagé, fût l’expérience que j’avais déjà à l’époque, et la capacité d’adaptation dont cette expérience faisait preuve.
Au cours de mes études, j’avais déjà fait de nombreux projets, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de mon cursus, avait déjà travaillé en tant qu’auto-entrepreneur pour une entreprise de marketing sonore, et avait participé à de nombreuses game jam . Cette petite expérience m’a permis de m'adapter assez vite à l’environnement de travail d’Ubisoft Montpellier, qui était pourtant très impressionnant et assez déroutant lorsque j’y suis rentré, car forcément très différent de ce que j’avais rencontré au cours de mes études.
En quelques mots, je dirais donc que les études, même le meilleur cursus qui soit, ne peuvent jamais remplacer l’expérience personnelle, qui passe beaucoup par les projets extérieurs. Je rajouterai aussi un point d’honneur sur les game jam, qui constituent l’un des meilleurs endroits pour apprendre, se faire des contacts, et gagner en expérience (le tout en perdant de nombreuses heures de sommeil).